Quand Ben Ali est parti, la Tunisie avait hérité d’une mafia économique prédatrice. Onze ans après la révolution, il ne s’agit plus d’une seule, mais de plusieurs mafias politico-économiques.
Pour résumer le bilan de ces onze années en quelques phrases, il y a eu une inexorable déliquescence de l’Etat. En témoignent des épisodes comme ceux d’El Kamour ou de l’arrêt de la production de phosphate. Des leaders politiques ont été assassinés. Des instructions judiciaires et des enquêtes de police bloquées. Une partie des institutions n’avaient plus l’audace et l’élégance qui avaient été l’une des marques de fabrique de la Tunisie depuis l’indépendance. Outre cette menace contre l’Etat lui-même, la personnalité tunisienne, cette identité si particulière forgée à travers les siècles, était trahie.
Sur le plan économique, le bilan est connu et subi par les Tunisiens dans leur vie quotidienne. Tout cela a provoqué un affaiblissement progressif de l’Etat.
A la veille du 25 juillet 2021, le pays était dans une impasse. On peut discuter des moyens mis en œuvre pour le sortir de cette impasse. Mais il est établi que le 25 juillet a sauvé la Tunisie. Il fallait que quelqu’un mette un terme à la nuisance de ces mafias, renforce l’Etat central et restitue son prestige.
Aujourd’hui, la bataille est loin d’être terminée. Un seul chiffre suffit pour montrer à quel point les mafias politico-économiques se sont développées et sévissent encore de nos jours. La part de l’informel représente entre 40 et 50% de l’économie. Les ramifications mafieuses se trouvent partout : dans un port, dans une administration, dans les circuits de commerce et sur la scène politique…
Il faut le dire, la plupart des partis ne peuvent se targuer d’être vertueux. L’action politique a été altérée par les compromis et les compromissions, voire les connexions avec l’étranger. Les puissances extérieures ont tenté de s’infiltrer dans les différents rouages de l’Etat. On aurait dit qu’il y avait convergence d’actions pour détruire tout ce qui est organisé. A commencer par l’Etat lui-même, en allant vers l’économie, en passant par la société et la personnalité tunisienne. S’en est suivi le glissement de tout un pays dans une trappe de désordre.
Faut-il donc soutenir Kaïs Saïed ? La réponse est oui, mais si on pouvait avoir des réserves sur certaines méthodes.
Aujourd’hui, pour que l’Etat fonctionne, il faudra réhabiliter le service public, mettre en place une justice propre et équitable. Et lier la responsabilité à la reddition des comptes. Si les griffes des islamistes ont été coupées, il faut maintenant qu’ils rendent compte de leurs actes. De ce fait, il y a lieu de considérer l’action de Kaïs Saïed comme un début de sauvetage. Un début seulement. Pour que ce sauvetage soit accompli, mené à terme, le Président a besoin de regrouper les gens, fédérer, tisser des alliances avec l’Ugtt, l’Utica, les organisations féminines, les composantes de la société civile et avec les personnalités vertueuses de la scène politique. Tout ce qui est vertueux doit participer à sauver le pays. Le Chef de l’Etat aura ainsi autour de lui des personnes de qualité, patriotes, intègres et expérimentées. Il devra lui-même faire preuve d’écoute et prendre connaissance des autres avis.
Pour que la Tunisie redevienne ce qu’elle a été, c’est-à-dire un pays qui réalise des performances économiques, respecté dans le concert des nations, indépendant et souverain, il faut mettre la main dans la main pour atteindre un objectif aussi noble que le salut d’un peuple et la relève d’une nation.